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Aisthesis
27 juin 2010

Eloge du Carburateur - M. B.Crawford

imagesPage 36-38 : "Si l'on prend en compte la richesse intrinsèque du travail manuel du point de vue cognitif, social et psychologique, on peut se demander pourquoi sa présence a connu un tel déclin dans le système éducatif. L'explication la plus fréquente selon laquelle il tendrait tout simplement à disparaître dans notre économie, est tout à fait discutable, voire absurde. C'est donc plutôt dans les coulisses obscures de la culture qu'il faut chercher une explication."

Page 40 : "Ces catégories (note : deux filières d'éducation: une professionnelle et une générale) continuent apparemment à informer le paysage éducatif contemporain, et avec elles se perpétuent deux grandes erreurs. D'abord l'idée que toute forme de travail ouvrier est nécessairement aussi décérébrée que le travail à la chaîne ; ensuite, celle que le travail en col blanc continue à avoir un caractère nettement intellectuel. Et pourtant, il y a bien des indices qui démontrent que la nouvelle frontière du capitalisme, c'est l'application du travail de bureau des mêmes procédés jadis appliqués au travail d'usine, à savoir l'élimination de ses éléments cognitifs."

Page 76 :" Il fut un temps où, outre la jauge d'huile, l'automobile disposait d'une interface assez primaire mais conceptuellement similaire au système sophistiqué des nouvelles Mercedes. En anglais, elle était désignée de façon humoristique comme "idiot light", la loupiote du crétin. Vous pouvez être certain que le manuel du propriétaire de Mercedes ne parle pas d'idiot system au moment de décrire l'interface informatique du véhicule : le jugement négatif implicite dont ce terme était jadis porteur n'est plus de mise aujourd'hui. En vertu d'une logique culturelle parfaitement insondable, ce qui hier était une preuve d'idiotie devient aujourd'hui désirable."

Page 119 : "Il est donc pertinent de se demander si la dégradation du travail n'entraine pas non seulement un abrutissement intellectuel, mais aussi un certain déficit de compétence morale (...) Nous avons tous un jour ou l'autre eu affaire à un fournisseur de service qui se comportait comme un automate incapable de faire autre chose que d'appliquer un mode d'emploi abstrait. Nous avons aussi bien souvent entendu les employeurs se plaindre de la difficulté de trouver des salariés consciencieux. Y aurait-il un lien entre ces deux problèmes ? Il semble bien que nous soyons confrontés à un cercle vicieux dans lequel la dégradation du travail a un effet pédagogique néfaste, transformant les travailleurs en matériau complétement inadapté à quoi que ce soit d'autre que l'univers surdéterminé du travail irresponsable."

Page 178 :"Tocqueville observait que les Américains seraient de plus en plus amenés à chercher la sécurité sous la tutelle d'une forme de "despotisme doux" incarné par l'Etat. Son analyse mérite d'être enrichie, dans la mesure où cette tendance despotique "soft" ne relève plus seulement aujourd'hui du paternalisme étatique mais aussi du pouvoir des grandes entreprises. On pourrait même avancer que ce sont désormais les géants du secteur privé, plutôt que l'administration, qui exercent sur nous cette forme particulièrement débilitante d'autorité par le biais du travail."

Page 216 :"C'est une chose pour l'ouvrière chinoise de savoir que, quelque part dans le Middle West, la couverture en patchwork traditionnel typiquement américaine qu'elle a cousue sert les besoins d'un individu concret et que ce dernier l'investit en outre d'une signification culturelle spécifique qui lui est pratiquement incompréhensible ; c'en est une autre pour un menuisier de déambuler en ville et de repérer la nouvelle porte d'entrée qu'il a conçue et fabriquée pour tel ou tel magasin, de s'enquérir par expérience directe ou par ouï-dire de ses défauts et ses qualités esthétiques et fonctionnelles, et de modifier ses futures productions en fonction de cette rétroaction quotidienne. Il y a bien entendu tout un monde de possibilités entre ces deux extrêmes. Une certaine lecture de marx consisterait à penser que plus on est proche du travail du menuisier, moins le travail est aliéné."

Page 228 : "Mais au fond, je ne cherche pas à recommander spécialement la pratique du motocyclisme, ni à idéaliser la vie du mécano. Ce que j'essaie de suggérer, c'est que, si nous suivons à rebours les traces de nos actions jusqu'à leur source, celles-ci peuvent nous instiller une certaine compréhension de la vie bonne. Une telle compréhension peut être difficile à exprimer de façon explicite ; il revient au questionnement moral de la mettre en lumière. Un tel questionnement peut être encouragé par des activités pratiques exercées en compagnie d'autrui, lesquelles donnent lieu à une sorte de conversation en acte. S'il repose sur ce type de conversation, alors le travail peut offrir un certain degré de cohérence à nos existences"

Page 240 : "Trop souvent, les défenseurs du libre marché oublient que ce qui nous importe vraiment, c'est la liberté des hommes. Produire des hommes libres suppose une économie susceptible de favoriser la vertu d'indépendance, une économie où toute une série de types humains différents seront capables de trouver des emplois adaptés à leurs compétences. Il est plus que temps d'en finir avec la confusion entre la propriété privée et propriété capitaliste. Les conservateurs ont raison d'exalter la première en tant que pilier de la liberté, mais quand ils recyclent ces arguments en faveur des grandes entreprises, ils se transforment en apologistes de la concentration massive et croissante du capital."

Note sur l'auteur : Matthew B Crawford était un brillant universitaire, bien payé pour travailler dans un think tank à Washington. Au bout de quelques mois, déprimé, il démissionne pour ouvrir...un atelier de réparation de motos. 

Note personnelle. 

Le journal libération remettait il y a quelques jours et dans un autre contexte, au gout du jour une citation d'Oscar Wilde :" Aujourd'hui les gens connaissent le prix de tout mais la valeur de rien".

Et bien lisez ce magnifique bouquin et vous comprendrez pourquoi. Bien entendu ce n'est pas l'éloge du capitalisme...

Si vous l'avez lu et que vous souhaitez échanger sur le sujet, la porte est grande ouverte. Ce bouquin m'a ouvert à des tonnes de questions par exemple :

pourquoi les chaînes de montage existent ? Car si c'est débile de travailler sur une chaîne de montage, pourquoi l'être humain a pensé dans sa tête d'être humain à créer un système de travail qui rend débile ceux qui travaillent dessus ? Pourquoi la priorité est de faire qu'une entreprise gagne plus, plutôt que de faire qu'un être humain ait un boulot moins con ? Pourquoi ne pas interdire aux entreprises d'avoir plus de 50 salariés ? Ainsi la répartition des richesses serait plus équitable non ?

Plus sérieusement (sic), j'ai mis plusieurs semaines à lire ce livre car à chaque paragraphe, l'auteur nous ouvre à de nouvelles perspectives... une autre manière de voir l'économie, de voir la relation au travail et donc aux autres... 

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